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Brèches – Par Mamadou NDIAYE

Les grandes voix élèvent la voix. Par nécessité absolue, elles rompent le silence et se prononcent sur la situation sociopolitique qui prévaut dans notre pays. La succession d’évènements religieux a servi de prétexte à nombre de figures, d’autorités sociales ou morales pour alerter sur les dangers, appeler au calme et inviter au ressaisissement.

Ainsi, les guides et les marabouts interpellent directement les acteurs politiques mis en face de leurs responsabilités devant l’inquiétante montée des tensions observée çà et là.

Les vieux sages de Touba et de Tivaouane, la famille omarienne de Louga et Dakar, les Niassène de Kaolack, les Layène à Yoff et le clergé, tous dépositaires de valeurs séculaires, prêchent la bonne parole en se montrant attentifs au paysage de l’actualité dominé par l’invective, la surenchère verbale et la dégradation vertigineuse de la pudeur accentuée par les réseaux sociaux et l’information spontanée, elle-même diffusée sans filtre.

Serigne Mahi Niasse met le doit sur les dangers qui nous guettent. « Nous ne sommes pas loin du précipice », tonne-t-il avec énergie lors d’un bref mais visible séjour à Dakar en provenance de Kaolack.

Pour sa part, Thierno Madani Tall évoque les acquis « exceptionnels » de la société sénégalaise que « personne n’a le droit de mettre en péril » en faisant fi du prix payé pour asseoir justement cette stabilité.

En écho, l’Archevêque de Dakar, Monseigneur Benjamin Ndiaye demande à toute la classe politique de « prendre de la hauteur et de préserver à tout prix les acquis de notre paix sociale » dont « nous sommes des héritiers et des passeurs en même temps », ajoute le chef de l’église.

Il n’avait pas manqué de relever, pour le déplorer, le désolant spectacle servi à l’Assemblée nationale, au début de la législature, par d’impétueux députés qui ont contribué à ternir l’image du Sénégal.

Gardons-nous de nous détourner de ces messages. Ils sont émis par d’éminents guides habités par la clairvoyance et qui, de leur posture, transcendent les clivages partisans pour se mettre au-dessus de la mêlée. En dépit des fureurs, ces figures affichent la sérénité et détiennent de puissants leviers d’actions. Leur influence reste intacte.

Pour preuve, les transporteurs ont levé leur mot d’ordre de grève à la demande du Khalife général des mourides, Serigne Mountakha MBACKÉ Bassirou. Nul doute que le Magal de Porokhane se profilait à l’horizon et les grévistes risquaient une impopularité et peut-être même un fiasco si jamais leur mouvement venait à perturber le déplacement des pèlerins vers le Saloum. Cet épisode est plein d’enseignements.

Les publics, s’abreuvant à des sources aléatoires, semblent submergés. Ils consomment sans discernement et s’exposent, par conséquent, aux effets dévastateurs et délirants de fausses nouvelles mais supposées vraies débitées par des canaux très peu regardant sur la portée et l’impact.

Il manque à la classe politique actuelle des réflexes politiques qui s’acquièrent avec le temps. En majorité, le personnel dirigeant est jeune. Il lui manque donc de la profondeur, de l’enracinement et surtout de la connaissance intime de la vie quotidienne qu’ont, en revanche, nombre d’élus locaux.

Certains, par les propos qu’ils tiennent ou les attitudes qu’ils adoptent, révèlent ou soulignent à grands traits des immaturités qui traduisent un déficit d’expérience. Si, à ces travers, s’ajoute maintenant l’intolérance, les opinions divergentes ne trouvent plus des moyens et des espaces d’expression.

D’où les débats houleux dépourvus de clarté et de cohérence qu’on observe sur les rares lieux de contradiction ou de joutes. Faute de débats, place aux pugilats, ce que semblent redouter analystes et observateurs de la scène politique sénégalaise sur laquelle s’affrontent diverses forces dont quelques unes, objet d’un certain mépris, pour ne pas dire d’un mépris certain de la part de quelques franges de l’élite politique au pouvoir.

Or à ce stade de l’évolution de nos mœurs politiques, l’angoisse du lendemain s’empare de nombre d’acteurs des divers camps. D’un côté l’empressement d’en découdre. De l’autre, un regard en surplomb, une assurance feinte que trahissent des manœuvres aux relents d’étouffement d’ambitions en gestation.

Face à de telles radicalités qui se côtoient sans se toucher, un réajustement politique s’impose. L’économiste Youssou Diallo, avisé sur les questions politiques, perçoit ces signes et s’investit dans la formulation d’une approche consensuelle pour sauvegarder la stabilité sociale et politique de notre pays.

Son initiative est intéressante puisqu’elle opte pour renouer les fils du dialogue politique. Mieux, en inspirant la confiance des différents acteurs, sa démarche dissipe les malentendus et chasse les angoisses, ce qui a pour effet de rendre la situation contrôlable. C’est tout le mérite de l’ancien dirigeant du mouvement étudiant dont la parfaite connaissance des protagonistes constitue à n’en pas un atout majeur. Après tout, les compromis s’obtiennent quand les esprits se tolèrent.

Sûrement le pays profond ne ressent pas de la même manière les dissensions qui s’observent dans les grandes villes, notamment à Dakar, épicentre des agitations et des crispations.

Notre société change. Il ne sert à rien de le nier. Elle se dévisage en segments à homogénéité parcellaire qui fait ressortir une forte aspiration individuelle au détriment des efforts solidaires, autrefois vecteurs de cohésion sociale. Ces tendances traversent la société. Les fractures sont nombreuses et béantes.

D’où la tentation du repli teinté d’une faible affirmation de soi qui est en définitive un réflexe de survie pour échapper au mépris. Quels sont les hommes politiques qui agrègent ces facteurs pour asseoir des logiques politiques ? Très peu.

Ils sont plutôt taraudés par les urgences. En même temps, ils veulent être en prise avec la réalité qui les environne. Pour eux, la solution passe par l’interaction avec d’autres forces. Ils le murmurent. Mezza voce. Piano. Cela induit toutefois des rapports de forces qui ne s’apprécient qu’à l’aune de la représentativité politique.

Or très peu d’entre eux peuvent prétendre à une réelle assise populaire. Pas de grandes visions. Les alliances tactiques masquent cette perte d’influence compensée par une fréquence assidue des interminables plateaux télévisés qui ne s’achèvent jamais même à l’épuisement des sujets en discussion.

Cette incursion des chaînes de télévision dans le débat politique aggravée par le microcosme des youtubeurs met hors jeu de réels talents politiques et ce pour longtemps encore. Nous ne sommes plus dans l’ordre, mais dans le désordre ! Les éléments du chaos existent.

Toutefois, il y a un réel besoin d’apaisement. Comment le Sénégal pourrait-il s’en sortir ? Vaste question qui sera à coup sûr éludée par l’actuelle agitation autour de la prochaine présidentielle de 2024. Le Sénégal gagnerait à voir fleurir des postures d’humilité.

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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