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Blanchiment de l’argent de la drogue dans l’immobilier au Sénégal: les trésors cachés de «Jamal Kane »

Evadé de prison en France, courant 2018, alors qu’il avait une permission, Joël Soudron est aujourd’hui, comme nous l’écrivions, le fugitif français le plus recherché en Europe, selon la notice diffusée la semaine dernière par Europol.

Au Sénégal où le narcotrafiquant vivait sous la fausse identité de Jamal Olivier Kane, Libération est allé à la découverte de ses «trésors » cachés.

Le 25 septembre 2012, Rezidor Hotel Group, «l’une des sociétés hôtelières à la croissance la plus rapide au monde et membre du Carlson Rezidor Hotel Group », annonçait, dans un communiqué officiel, le tout premier hôtel Park Inn by Radisson au Sénégal.

« Park Inn by Radisson est notre marque de taille moyenne jeune et dynamique, et nous sommes ravis de présenter la marque au Sénégal», déclarait à l’époque Kurt Ritter, alors président et chef de la direction de Rezidor, cité dans le communiqué.

« Nous nous réjouissons d’une coopération fructueuse à long terme avec Rezidor et tenons à remercier l’équipe de Horwath Htl suisse, dont le soutien a été d’une grande valeur pour rendre ce projet possible », ajoutait Jamal Oliver Kane, présenté dans le communiqué comme étant le président du développeur de projets basé en Suisse Calabash Development Sa.

Les liaisons dangereuses de Rezidor Hotel Group
«Monsieur Jamal Olivier Kane, de nationalité sénégalaise, né le 10 décembre 1974 à Saint Marty, alias Max Bernard Honorat Dalon né le 24 avril 1979 en Guadeloupe, fils de Fadel et de feue Sybil Joseph, administrateur de société, domicilié à Nord Foire à Dakar», c’est aussi sous cette fausse identité que Joël Soudron, devenu à 42 ans le criminel français le plus recherché d’Europe depuis la semaine dernière s’est présenté, le 19 mai 2016, devant la Cour de Justice de la CEDEAO pour contester son extradition vers la France après son arrestation à Bamako.

Calabash Development Sa liquidée après le «coup » pour effacer ses traces
Calabash Development Sa qui avait été créée, manifestement pour monter ce «coup », a été discrètement liquidée en Suisse où Jamal Olivier Kane, alors détenteur du passeport ordinaire sénégalais numéro A00206491 délivré le 9 septembre 2008, est sous le coup d’une enquête pour blanchiment de capitaux liés au trafic de stupéfiants.

Dans cette affaire, gérée par le procureur du Canton de Zurich, une bonne partie des fonds en cause provient du Sénégal.

Calabash Development Sa, montée le 19 octobre 2011, n’était que la face visible de l’iceberg puisque Jamal Olivier Kane avait lancé en Suisse d’autres sociétés-boîtes aux lettres comme United Alutrade Sa ou Fortwo Ltd.

Fortwo Sarl, une nébuleuse à Dakar
Cette dernière entité avait même une filiale sénégalaise- Fortwo Sarl- qui a vu le jour le 3 décembre 2009, sous le registre de commerce numéro Sn-Dkr-2009- B4113, avec comme gérant Jamal Olivier Kane lui-même.

«La société a pour objet, tant au Sénégal qu’à l’étranger, et sous réserve le cas échéant de l’obtention des autorisations nécessaires auprès des autorités compétentes: l’importation, l’exportation, la distribution et la représentation de tous produits et matériels; la vente des pièces détachées neuves et d’occasion ainsi que des articles de quincaillerie; toutes opérations afférentes à la vente d’engrais, d’intrants et de semences; la commercialisation des produits phytosanitaires, de pesticide, de matériel agricole et d’équipement rural », renseignent les documents de sa création.

Grâce à ces structures, entretenues par l’argent de la drogue et sur la base de sa fausse identité, Jamal Olivier Kane a investi le secteur immobilier sénégalais avec l’appui des hautes autorités de l’époque.

Mais l’homme, comme le soulignent les policiers français dans leur avis de recherche, est très discret.

La preuve par son compte numéro 20137 01001 80023670006 7 ouvert à la Banque Atlantique sous sa fausse identité.

A l’ouverture du compte, il avait fourni comme adresse : Djicoroni, rue 560, Porte 108, Bamako-Mali.

Ce compte était atypique car n’ayant enregistré qu’une…seule opération de versement d’un montant d’un million effectué le 19 septembre 2008 par Ndèye Binta Diack, l’ex-épouse sénégalaise de Jamal Olivier Kane.

Le reste des opérations étaient des débits mensuels de 2340 Fcfa pour les frais de tenue de compte et un débit de 871.640 Fcfa au titre du cantonnement d’une saisie-attribution de créances au profit du chef du bureau de recouvrement du Centre des services fiscaux de Ngor-Almadies.

Justement, dans cette opération, le nom de Jamal Olivier Kane était associé à Calabash Development Sa.

879 millions de Fcfa retracés dans son compte ouvert à la Boa
Pour autant, Jamal Olivier Kane n’a pas adopté la même prudence concernant son compte numéro 20031365 ouvert dans les livres de la Banque of Africa (Boa).

Dans le rapport d’étape relatif à l’exécution de la Commission rogatoire internationale (CRI) délivrée au Sénégal par Baudoin Thouvenot, juge d’instruction à la juridiction inter-régionale spécialisée du Tribunal de Paris dans la procédure suivie contre Mamady Dembélé, Joël Soudron et autres, la Dic y signalait des versements de 290.000.000 (le 06/05/2009), 20.000.000 Fcfa (le 31/05/2010), 260.270.200 Fcfa 30/09/2009), 29.500.000 Fcfa 28/02/2010), 60.749.000 Fcfa 04/03/2009), 108.541.068 Fcfa 10/04/2009) et 110.642.008 Fcfa 15/05/2009).

Conformément aux demandes du magistrat français, les enquêteurs, agissant sur délégation du juge du premier cabinet de Dakar, avaient aussi auditionnés toutes les personnes de l’entourage Sénégalais de Jamal Olivier Kane.

C’est le cas d’Aïssata Aw, présidente, directrice générale et propriétaire de la Société internationale pour la promotion de l’habitat social au Sénégal (Siphs) que Joël Soudron, connu selon elle à travers Amadou Fadel Issa Kane lors d’une transaction immobilière en 2014 appelée «maman ».

Surnommé «Ben », Amadou Fadel Issa Kane a expliqué aux enquêteurs s’être séparé de Jamal Olivier Kane, qui était son partenaire en affaires, après la faillite de la société Benja Sa.

D’après lui, cette faillite s’expliquait par les montants trop élevés pour l’acquisition de maisons la Cité Tobago par rapport au marché local mais aussi du fait que les clients, qui avaient souscrits, n’avaient pas respecté leurs engagements. Dans l’impossibilité de «Benja » de rembourser le prêt fait auprès de la Banque Atlantique, cette dernière a saisi les villas.

2 milliards de Fcfa pour des villas à Tobago
Il a ajouté qu’à sa grande surprise, profitant de ces difficultés, son co-actionnaire, Jamal Olivier Kane, lui avait proposé le rachat de ses parts pour être l’administrateur de «Benja et, ainsi, trouver de nouveaux investisseurs. Ce qu’il aurait refusé. Toutefois, il aurait fini par lui concéder le poste après une confrontation qui aurait duré 6 mois.

Aussitôt installé dans ses nouvelles fonctions, Jamal Olivier Kane a nommé Ousmane Thiongane comme directeur chargé de la gestion de Benja, a révélé «Ben ».

Pour ce qui est du financement de la Cité Tobago, il a ajouté que Jamal Olivier Kane avait apporté la somme de 2 milliards de Fcfa qui a servi à l’achat du terrain. Quant à lui, il a soutenu avoir contribué à hauteur d’1,7 milliard.

Deux appartements à 160 millions de FCFA pour ses enfants
Invité à se prononcer sur les circonstances de l’obtention de la nationalité sénégalaise par Jamal Olivier Kane, «Ben » a dégagé en touche, en soutenant les ignorer.

Toutefois, il a dit que cela pourrait découler de son mariage avec Ndèye Bineta Diack avant d’indiquer avoir constaté ce changement de statut lors de la constitution de leur société commune, «Benja ».

Ndèye Bineta Diack a effectivement confirmé aux policiers avoir été l’épouse de Jamal Olivier Kane, connu courant 2007, avant leur mariage intervenu le 7 février 2008. De cette union, sont issus deux garçons. Elle a révélé que c’est «Ben » et certains membres de sa famille, qui étaient allés demander sa main pour le compte de Jamal Olivier Kane.

Questionnée sur l’identité de son ancien époux, Ndèye Bineta Diack a renseigné que Joël Soudron lui avait affirmé que «Ben » était son frère et qu’il serait de même père. Elle a ajouté qu’elle a eu confirmation de cette affirmation à la lecture de la Carte nationale d’identité (CNI) sénégalaise de son ancien mari sur laquelle il est effectivement mentionné «Olivier Jamal Kane, né le 10/02/1974 à Saint-Mary Antigua, fils de Fadel et Sibyl Joseph ».

Dans la même lancée, elle a précisé avoir connu Aïssata Aw via son ancien mari dont elle ignorerait totalement les activités. Un ex-époux riche comme Crésus pour avoir offert à chacun de ses enfants, un appartement valant 80 millions de FCFA à leur naissance en plus de liens troublants avec le select «Business hôtel »…

Cheikh Mbacke Guisse

Jean Louis Verdier - Rédacteur en Chef Digital - Paris- Dubaï - Hong Kong dakarecho@gmail.com - Tél (+00) 33 6 17 86 36 34 + 852 6586 2047

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