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Bilan Media, un média 100% féminin à l’assaut des tabous en Somalie

Bilan Media, un média 100% féminin à l’assaut des tabous en Somalie

Des smartphones et des ordinateurs portables pour briser les tabous: un nouveau média composé d’une équipe 100% féminine entend mettre en lumière la situation des femmes, et notamment le sujet occulté des violences sexistes, dans la très conservatrice société somalienne.

Toutes âgées de moins de 28 ans, les six journalistes de Bilan Media (« bilan » signifie « beauté » en somali) diffusent depuis trois mois leurs programmes vidéo sur Dalsan, la chaîne radio et télévision de Mogadiscio qui les héberge, et sur les réseaux sociaux.

Parmi ces quelques sujets, on trouve une interview avec une des rares femmes politiques somaliennes, l’ancienne ministre des Affaires étrangères et vice-Première ministre Fawzia Yusuf Adan, un reportage sur la situation sanitaire des femmes dans un camp de déplacés, un autre sur une jeune fille devenue mère à 16 ans qui reprend sa scolarité…

Autant de sujets peu courants dans les médias de ce pays de la Corne de l’Afrique à la société patriarchale, religieuse et conservatrice.

« Environ 80% de nos programmes se concentreront sur des sujets que les gens peuvent trouver scandaleux. La société doit être informée de ces histoires », affirme à l’AFP Nasrin Mohamed Ibrahim, qui dirige du haut de ses 21 ans ce média financé par le Programme des Nations Unies pour le développement (Pnud).

Interview, montage, présentation: à Bilan Media, les six journalistes, toutes passées auparavant par des médias locaux, s’occupent de tout.

« La même douleur »
Mais convaincre les gens de partager leurs histoires sur des sujets sensibles comme les violences sexistes reste un défi en Somalie.

Le pays n’a pas de loi sur les infractions sexuelles, dont un projet est toujours en attente depuis 2014. Les auteurs sont rarement poursuivis ou punis et les victimes souvent stigmatisées lorsqu’elles osent prendre la parole.

Avoir une équipe entièrement féminine peut toutefois s’avérer être un avantage, estime la responsable de Bilan Media.

« Les informations qu’on peut recueillir auprès d’une mère dont la fille a été violée peuvent ne pas être accessibles à des journalistes hommes car cette mère fera davantage confiance aux femmes journalistes », souligne Nasrin Mohamed Ibrahim: « En tant que femmes, nous ressentons la même douleur ».

Elle veut accompagner un certain changement de mentalités qu’elle voit s’opérer dans le pays.

« De nombreuses femmes souhaitent raconter leur histoire pour demander justice », affirme Nasrin Mohamed Dahir, en évoquant un cas de viol collectif et meurtre présumés d’une jeune femme à Mogadiscio qu’elle a couvert en 2020.

« Ses parents ont décidé d’en parler. J’ai moi-même interrogé son père et l’affaire est à ce jour devant les tribunaux », explique-t-elle, citant d’autres exemples de familles refusant d’être réduites au silence par la stigmatisation sociale.

« Si tous ces parents n’avaient pas décidé de parler publiquement, les victimes auraient été enterrées sans que justice soit rendue », souligne-t-elle.

« Nous avons récemment réalisé un reportage sur une mère célibataire de 16 ans », raconte de son côté la plus jeune membre de l’équipe, Shukri Mohamed Abdi, 19 ans: « Elle est retournée à l’école pour poursuivre ses études et nous avons présenté les difficultés qu’elle connaît et ses ambitions pour l’avenir ».

« Les gens apprécient les histoires comme celle-ci parce que ça décourage le mariage des enfants », estime-t-elle.

« Quelque chose de spécial »
Pour Hafsa Abdulaziz, mère de deux enfants qui vit à Mogadiscio, Bilan Media apporte « quelque chose de spécial ».

« Il y a tellement d’histoires déchirantes sur des familles brisées dont on n’entend pas parler dans les médias conventionnels », souligne cette femme qui a regardé plusieurs reportages sur leur page Facebook.

Mais certains voient la démarche d’un oeil méfiant.

« Franchement, je doute des motivations de ce Bilan Media. Toutes les journalistes sont des femmes et elles ne font que des programmes (…) sur les femmes. Elles essaient peut-être de pousser les femmes à s’opposer aux hommes », lâche ainsi Abdullahi Adan, diplômé d’université en recherche d’emploi dans la capitale somalienne.

Il faudra du temps pour faire avancer les choses, mais « rien ne vient sans défi, donc lorsqu’on parle (de produire) des programmes comme celui-ci, il faut être prête pour les défis », affirme Nasrin Mohamed Ibrahim, en répétant son credo: « Nous pouvons faire tout ce que les hommes peuvent faire, ou même le faire encore mieux. »

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