Ce jeudi, le Sénégal se souvient du naufrage du Joola, la plus grande tragédie maritime de l’histoire. Le 26 septembre 2002, le navire assurant la liaison Ziguinchor-Dakar sombre dans les eaux gambiennes. 1863 morts officiellement recensés, Ziguinchor lieu de départ du navire et qui a payé un lourd tribut a ce drame compte se mobiliser pour rendre hommage aux victimes, sur fond d’interpellations et de doléances des familles de victimes.
Le drame du «Joola» a-t-il vraiment servi de leçon, s’interroge-t-on. Surtout que des «Joola» sont toujours aux aguets dans un pays où l’introspection agitée au lendemain du drame a vite cédé la place au laxisme et à l’insouciance.
Dans cette ville qui a pourtant payé un lourd tribut à cette tragédie maritime du 26 septembre 2002, rien ne montrait ces derniers jours que l’on commémorera le vingt-deuxième (22e) anniversaire de ce drame qui a coûté la vie à 1863 victimes officiellement recensées. 64 rescapés ont été secourus.
Seuls les responsables de l’Association des victimes du «Joola» s’activaient. Des opérations de désherbage au cimetière de Kantène où reposent 46 victimes du naufrage ont été menées en rapport avec l’armée et les sapeurs-pompiers.
Certaines familles des victimes et membres de l’Association Nationale des Familles de Victimes du «Joola» (ANFV «Joola») accusent même l’Etat de vouloir pousser les populations à l’oubli de ce drame. «Nous, familles de victimes, nous n’allons jamais oublier ce naufrage, même s’il fallait, seul entre familles de victimes, célébrer cette commémoration, nous allons le faire. Pas question d’oublier cette tragédie…», lance amèrement Nestor Diatta.
Même si dans certaines familles de victimes du «Joola», l’approche de cette commémoration n’a rien changé dans le quotidien, la veuve Madame Cissé, chapelet à la main, dit n’attendre que le 26 septembre pour se recueillir devant les tombes à Kantène et formuler des prières pour son époux victime de ce naufrage. Dans la ville, c’est l’imposant «Musée-Mémorial Le Joola», érigé à quelques encablures du Port de Ziguinchor, qui attire les convoitises.
Ces derniers jours, c’est une image d’indifférence qui frappait Ziguinchor. Seules les premières années qui ont suivi le drame ont été célébrées dans une parfaite et grande solennité empreinte de grand hommage. Les Ziguinchorois, languis des épisodes ludiques, folkloriques avec des «politiciens» qui marquaient souvent les commémorations, se sont vite résignées à ramener ces célébrations à leurs dimensions solennelles.
LE DRAME DU «JOOLA», LEÇON NON SUE ; «DES JOOLA» QUI GUETTENT TOUJOURS
Ces commémorations sont souvent l’occasion de rappeler les populations à une prise de conscience. Car après une tragédie d’une telle ampleur, nombreux étaient ceux-là qui ont fait leur introspection sur une panoplie de comportements à adopter. Mais très vite, les populations renouent d’avec les vieilles habitudes. Surcharges dans les transports, dangers sur les routes, refus de ports de gilet de sauvetage (pour les pêcheurs et pirogues/courriers assurant la liaison fluviales entre localités côtières et insulaires) sont autant d’attitudes qui renseignent sur l’insouciance et le manque de prise de conscience.
Un reportage qui retrace le film du drame du 26 septembre 2002 du bateau LE JOOLA.
Ça fait mal , très mal. LA NÉGLIGENCE pic.twitter.com/x8fKSf7R3g
— 𝐋𝐄𝐆𝐀𝐂𝐘’ (@Palvaa_FCB) September 26, 2024
Conséquence, les accidents de la route et les accidents en mer ont connu une hausse vertigineuse ces dernières années dans le pays.
L’autre mal, ce sont des jeunes à bord des moto-Jakarta, sans aucune maîtrise du Code de la route, qui circulent dans la ville sans être inquiétés. Conséquence, les accidents sont monnaie courante dans cette ville mal éclairée, exposée à toute sorte de banditisme.
Des faits sur lesquels pourtant tout le monde méditait au lendemain du naufrage. Mais, voilà que l’introspection agitée juste au lendemain du drame a vite fait de céder la place au laxisme et au «je m’en foutisme» presque érigé en règle sur les routes.
Pourtant, en 2016, les responsables de l’ANFV/Joola avaient placé le 14e anniversaire, cette année-là, sous le signe de la «Prévention pour des systèmes d’alerte précoce». La situation sur les routes est beaucoup plus alarmante ; en témoignent les récurrents accidents qui ont fait plusieurs victimes ces derniers mois dans le pays.
Pour mieux marquer cette journée du 26 septembre, le défunt président de l’Association, Moussa Cissokho, avait même proposé au parlement de voter une loi, à l’image des Américains, pour que le 26 septembre soit décrété «Patriot day», une Journée patriote, pour permettre aux Sénégalais de se souvenir et de commémorer cette date.
RENFLOUEMENT DU BATEAU, ORPHELINS DU JOOLA ; DES QUESTIONS QUI REVOLTENT L’ANFV
La question de la prise en charge des orphelins reste une revendication centrale des membres de l’association des familles car, pour eux, la mise en place de l’Office national des pupilles de la nation, chargé de la prise en charge des orphelins du «Joola», a plus créé de problèmes qu’elle n’en a résolus. Ils estiment que certains enfants n’ont pas été pris en charge par cet office des orphelins. Ils ont été laissés en rade.
Le renflouement du bateau reste un autre combat pour les responsables de l’association car, déclarent-ils, «jusque-là, c’est l’omerta total de l’Etat qui n’a pas cette volonté de renflouer le Joola pour permettre à nos chers parents disparus d’avoir une sépulture digne et permettre à leurs parents de porter le deuil…» Ajouté à cela le classement du dossier sans suite au Sénégal et en France.
De quoi soulever l’ire des responsables qui assimilent une telle situation à un culte de l’impunité qui prévaut au Sénégal. Ils s’expliquent difficilement de telles décisions de justice. «Il faut la lumière sur ce naufrage car il est inadmissible que personne ne soit responsable de 2000 morts ; c’est incroyable. Nous ne l’accepterons jamais. Avec les familles françaises, hollandaises… nous allons faire bloc pour porter le dossier au niveau de l’Union africaine et de l’Union européenne», peste un responsable de l’Association qui préfère garder l’anonymat.
Autant de questions qui poussent Moussa Diedhiou, de famille de victimes, à lancer ces propos : «Depuis les engagements pris lors du Conseil des ministres délocalisé à Ziguinchor par l’ancien chef de l’Etat, Macky Sall, rien ne bouge ; c’est comme si il nous a oubliés, il nous ignore», déplore-t-il, même s’il salue la construction du Musée «Mémorial le Joola».
IGNACE NDEYE
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