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A quand un sommet Afrique-Monaco ? – Par Fadel DIA

A quand un sommet Afrique-Monaco ? – Par Fadel DIA

C’est devenu une mode, ou une épidémie : des dirigeants, des pays du Nord majoritairement, convoquent à titre individuel, l’ensemble des chefs d’Etats africains à un sommet au cours duquel ceux-ci font face à un unique interlocuteur, ce qui ne les empêche pas de se précipiter toutes affaires cessantes au lieu choisi pour abriter la rencontre, sans même savoir quelquefois quel est l’ordre du jour !

Cela s’appelle pourtant un Sommet. Il y eut donc un Sommet Etats-UnisAfrique, un Sommet Russie-Afrique, un Sommet France-Afrique, un Sommet Chine-Afrique …Il y aura peut-être un Sommet Luxembourg-Afrique ou, pourquoi pas, un Sommet Monaco-Afrique.

Le dernier en date de ces sommets déséquilibrés s’est tenu à Rome et l’hôtesse de la rencontre n’est autre que la présidente du parti d’extrême droite et nationaliste conservateur Frères d’Italie ! L’Italie de Giorgia Meloni au secours de l’Afrique, qui l’eut cru ? Il y a en effet une certaine indécence, pour des chefs d’Etats africains, à aller répondre à l’invitation de celle qui est la tête de proue du populisme triomphant en Europe, une sorte d’Éric Zemmour en jupes et en moins fripé, dont le parti a pour devise « Dieu, Famille et Patrie » et qui reconnait avoir « un rapport serein avec le fascisme ».

Mme Meloni se proclame « italienne et chrétienne » et ses thèmes favoris pendant la campagne électorale qui l’a portée au pouvoir étaient l’arrêt « du remplacement ethnique qui est en cours en Italie », le blocus naval des bateaux d’immigrés venus d’Afrique et, bien sûr, la lutte contre l’invasion islamique. Du Zemmour pur sucre ! Les chefs d’états africains peuvent-ils dès lors répondre à sa convocation sans, au préalable, exiger quelques explications ?

Peuvent-ils, raisonnablement, espérer obtenir une aide généreuse et désintéressée auprès d’un gouvernement qui proclame l’état d’urgence parce que quelques milliers de leurs concitoyens, paumés, sans armes et sans bagages, ont débarqué sur ses cotes après avoir parcouru la route migratoire la plus meurtrière du monde ?

Le tapis rouge déroulé à leur honneur n’aurait-il pas d’autre but que de permettre à l’Italie de s’assurer une meilleure place dans l’exploitation des énergies fossiles de leurs pays et de favoriser l’implantation de ses entreprises en Afrique ? Ne s’agit-il pas tout simplement d’une vaste opération de manipulation et d’escroquerie ?

Comment, de manière générale, comprendre que les chefs d’Etats africains qui traînent souvent les pieds pour participer aux grandes réunions organisées sur le continent, par l’Union Africaine ou les organisations régionales, obéissent au doigt et à l’œil aux injonctions de leurs homologues occidentaux pour participer à des marches de soutien à un journal, à des manifestations mondaines ou à des conférences qui ne sont souvent que des parlottes infructueuses?

Mais, me dira-t-on, foin de suspicions et un peu de réalisme que diable ! Alors, mettons de côté les sentiments et parlons affaires : l’Italie, c’est combien de divisions ? La plus belle fille du monde ne peut donner que ce qu’elle a et il en est de même de l’Italie, malheureusement, comme dirait un de mes ainés qui aimait se jouer de la langue française, l’Italie peut peu. Son PIB représente à peine plus de quatre fois celui de l’Afrique du Sud et le « Plan Mattei »- (le nom n’a pas été choisi au hasard puisque c’est celui du fondateur de la plus grande entreprise pétrolière d’Italie)- concocté par Mme Meloni et encore nébuleux, promet aux 1.400.000.000 Africains une aide de 5,5 milliards d’euros…sur cinq ans, soit environ 3500 milliards de francs CFA, soit approximativement la moitié du budget du Sénégal pour 2024, soit 2,5 francs CFA pour chaque Africain…sur 3 ans !

Si l’on considère que la plupart des chefs d’Etats africains se sont rendus à Rome à bord de leurs avions particuliers et si l’on tient compte du prix de l’heure de vol d’un jet (7000 euros /heure pour un modèle ordinaire) on peut dire que le coût de la participation de certains d’entre eux pourrait dépasser la quote part qu’ils peuvent espérer tirer de la dotation italienne, ce qui serait un comble !

Pour avoir une meilleure idée des 5,5 milliards promis par l’Italie il suffit de les comparer à l’assistance dont bénéficie l’Ukraine. Pour la seule année 2023, l’Union Européenne, dont l’Italie est la troisième puissance, a fourni à ce pays, deux fois moins peuplé que la R.D. du Congo, une aide financière et humanitaire de plus de 20 milliards d’euros, non comprise l’aide apportée aux réfugiés ukrainiens, non comprises les aides ponctuelles ciblées ainsi que celles des institutions financières européennes, non comprises les contributions bilatérales et, bien évidemment, non comprise l’aide militaire : plus de 20 milliards d’euros qui s’ajoutent aux 100 milliards versés par les Etats-Unis depuis le déclenchement de la guerre en Ukraine.

Au moment où l’Italie promettait au continent africain 5,5 milliards d’euros sur cinq ans l’Union Européenne en promettait dix fois plus à Kiev pour quatre ans. L’aide PROMISE (car l’histoire nous a appris que les pays du Nord tiennent rarement leurs engagements dans ce domaine), par Mme Meloni n’est pas seulement insignifiante par rapport aux besoins de l’Afrique, elle a été conçue pour servir les intérêts du donateur.

C’est ce dernier qui en a défini les priorités, sans tenir compte des vœux des bénéficiaires, et plus de la moitié de ses moyens vient du Fonds italien pour le climat et pourrait servir à financer de nouvelles explorations pétrolières et gazières en Afrique. Enfin, et c’est sans doute ce qui rend dérisoire ce sommet, les observateurs italiens les mieux placés estiment que l’Italie, vieillie, endettée et bureaucratique, est tout simplement incapable d’exécuter ses engagements.

Pourquoi donc faisons-nous si peu cas de la sagesse de nos Anciens ? Un proverbe africain nous enseigne que nous ne devons éprouver aucune honte lorsque notre hôte nous sert un repas dans l’écuelle de son chien. Ce qui serait humiliant en revanche c’est que, le sachant, nous consommions ce repas !

Nous ne pouvons pas contraindre les pays occidentaux à nous apporter leur aide, en signe de solidarité humanitaire et en reconnaissance de la part que nous avons prise dans leur développement, mais nous avons au moins la capacité de refuser les restes de leurs repas. Il nous manque seulement la volonté et c’est là que le bât blesse !

Fadel DIA

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